Le Prophète ﷺ envoya Mo’adh au Yémen en tant que prédicateur et dirigeant vers l’an 9 de l’Hégire :
1- Il l’informa qu’il trouvera des juifs et des chrétiens qui avaient comme livres la Torah et l’Évangile afin qu’il se prépare à leur faire face, car c’était des gens qui possédaient dans l’ensemble une certaine science[1] .
2- Ensuite, il lui recommanda de commencer à les appeler à attester de l’unicité d’Allah et du Message de Mohammad ﷺ. Ce sont certes les fondements de la religion sans lesquels aucune de ses subdivisions n’est valide. Il leur est donc demandé de réunir ces deux attestations[2]. Les juifs et les chrétiens n’assurèrent pas leur salut en refusant d’attester l’unicité d’Allah contenu dans le Message qui leur avait été révélé, puisqu’ils associèrent ‘Ouzayr et ‘Îssâ (Jésus) à Allah et traitèrent de mensonge la prédication du Messager ﷺ[3].
3- Il lui recommanda ensuite, s’ils obéissent à ce qu’il leur ordonne, et donc prononcent les deux attestations de foi et reconnaissent ainsi l’unicité d’Allah et le Message du Prophète ﷺ, de les informer qu’Allah leur a imposé cinq prières de jour comme de nuit et qu’il leur apprenne à accomplir ces prières.
Les paroles du Prophète ﷺ « S’ils t’obéissent en cela » indiquent la soumission et l’action et non le simple fait de reconnaître l’obligation. Il est donc nécessaire qu’ils reconnaissent que la prière est obligatoire et qu’ils l’accomplissent à son heure[4].
4- Puis, après avoir reconnu l'obligation de la prière et l’avoir accompli, il lui recommanda de les appeler à s’acquitter de l’aumône légale (Zakat). Il lui ordonna donc de les informer qu’Allah a imposé à leurs riches une aumône légale qui représente une petite part déterminée prélevée sur leurs richesses afin qu’elle soit redistribuée à leurs pauvres.
5- Puis le Prophète ﷺ ordonna à Mo’adh, s’ils l’acceptent, de le laisser prélever l’aumône légale de leurs richesses, mais qu’il s’abstienne d’en prélever les biens qui sont les plus précieux aux yeux de leurs propriétaires, ceux qu’ils aiment et auxquels ils sont attachés, comme une brebis que son propriétaire aime et dont il prend soin, car elle lui donne beaucoup de lait ou pour une autre raison. Il n’est pas permis, eut égard à leurs propriétaires, de prélever ce type de bien pour que ceux-ci s’acquittent de l’aumône légale dont ils sont redevables. En effet, Allah n’a pas institué la solidarité avec les pauvres au détriment des riches. Maintenant, il est permis de le prendre, si le propriétaire du bien précieux décide de donner de son plein gré son bien en aumône.
Par ailleurs, ‘Omar ibn al-Khattab dit à un homme qu’il envoya collecter l‘aumône légale : « Ne prends pas la bête qu’on engraisse, l’animal de compagnie – qui est élevé à la maison et qu’on ne laisse pas brouter dehors en raison de sa valeur pour son propriétaire –, la bête qui est sur le point de mettre bas, ni le bélier reproducteur [5]».
6- Puis, le Prophète ﷺ averti Mo‘adh contre les conséquences de l’injustice en prélevant l’aumône légale ou dans tout ce qui touche à l’exercice de l’autorité et de la gouvernance. Il signifiait en disant : « redouter l’invocation de l’opprimé », d’éviter ce qui la cause, car l’injustice est la cause de l’invocation prononcée contre l’injuste.
Précisons que l’invocation de l’opprimé est entendue et exaucée, que les portes des sept cieux lui sont ouvertes et que rien ne s’interpose entre elle et son exaucement[6]. Il est dit en effet dans un hadith : « Les invocations de trois personnes ne restent pas inexaucées : le jeûneur jusqu’à ce qu’il rompe le jeûne, le dirigeant équitable et l’invocation de l’opprimé, celle-ci est élevée par Allah au- dessus des nuages et Il lui ouvre les portes du ciel. Le Seigneur dit alors : Par Ma puissance, Je te ferai triompher même si ce n’est pas tout de suite »[7].
Comment appliquer ce hadith
1- Le Prophète envoya Mo‘adh ibn Jabal au Yémen alors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années. Il assuma cette responsabilité et supporta d’être loin de son pays et de ses proches pour la cause d’Allah et pour obéir à Son Messager. Et nous que supportons-nous donc pour la cause d’Allah et pour obéir à Son Messager ?
2- Le Messager d‘Allah ﷺ confiait de grandes responsabilités à ses Compagnons de première jeunesse et ceux-ci ne se dérobaient pas. Il incombe donc au père, à l’enseignant et l’éducateur d’habituer ceux dont ils ont la charge à assumer des responsabilités et à ne pas les sous-estimer. Pour leur part, les jeunes en question doivent être à la hauteur de la responsabilité.
3- Accepte tout hadith authentique du Messager d‘Allah ﷺ même s’il n’est rapporté que par une seule personne. En effet, le Prophète ﷺ envoya Mo’adh transmettre des choses d’une extrême importance touchant aux croyances et à la jurisprudence en lui donnant une autorité sur les biens des gens. Tout ceci démontre que le récit apporté par un seul narrateur doit être pris en considération.
4- Identifie la nature de ceux que tu rencontres, car le Prophète ﷺ informa Mo‘adh qu’il allait se rendre chez des gens du Livre afin qu’il tienne compte de certains éléments lorsqu’il les appelle à l’Islam[8], comme les preuves à leur apporter, le style employé et d’autres choses encore parce qu’il se peut que ce soient des gens qui détiennent une science et sont habitués à argumenter. Veille donc à rassembler des renseignements appropriés avant de t’engager dans un projet.
5- Le Prophète ﷺ prenait soin de faire des recommandations à ceux qu’ils chargeaient d’une mission et à les exhorter. Ainsi, il n’envoya pas Mo‘adh avant de lui avoir exposé la situation et de lui avoir tracé un programme. Il lui ordonna d’être équitable, le mit en garde contre l’injustice, malgré la maturité religieuse et savante de Mo‘adh. Ne néglige donc pas de faire des recommandations à ceux qui t’accompagnent et ceux à qui des recommandations sont faites ne doivent pas les rejeter par orgueil.
6- Le Prophète ﷺ accordait de l’importance aux priorités et les classait par ordre d’importance. Ainsi, il n’ordonna pas à Mo‘adh de commencer par combattre certains péchés que tous les gens commettent dans leur comportement et qu’il est important d’éradiquer. Il commença plutôt par le fondement de la religion et la clé de la foi, à savoir les deux attestations de foi, puis la prière, puis l’aumône légale. Nous devons faire de même dans notre éducation, notre prédication et notre enseignement et même dans l’ensemble de nos projets : Nous devons procéder par ordre d’importance. ‘A’icha – qu’Allah a agréée – a dit : « Ce qui a été révélé au début fut une des sourates d’Al-Moufassal qui mentionne le Paradis et l’Enfer. Puis, lorsque les gens entrèrent dans l’Islam, ce furent les versets détaillant le licite et l’illicite qui furent révélés. Si la première chose à être révélée avait été : ne buvez pas de vin, ils auraient répondu : Nous ne délaisserons jamais le vin. Et si la première chose à être révélée avait été : ne forniquez pas, ils auraient répondu : Nous ne délaisserons jamais la fornication [9]».
7- La foi, la prière et l’aumône légale sont les éminents fondements de la foi, ceux-ci sont d’ailleurs souvent mentionnés ensemble dans le Coran et la Sounna. Ces adorations comportent une rétribution et des effets spirituels que seul Allah connaît. Ainsi, même si toi-même et ceux qui sont avec toi, vous en acquittez, veillez à le faire de façon complète.
8- Le Prophète ﷺ avertit Mo‘adh qu’il ne devait pas prélever les biens précieux auxquels s’attachent les âmes et lui ordonna d’être à ce sujet équitable. Ceci permet de ménager les sentiments et la compréhension des gens, et tout prédicateur, père, éducateur et responsable devraient faire de même et tenir compte de cela lorsqu’il ordonne quelque chose ou la défend.
9- Veille, lorsque tu vas dormir, qu’aucun opprimé n’ait été attristé par tes propos ou par tes gestes, qu’il s’agisse de ton épouse, ton fils, un de tes élèves, un de tes employés, un vendeur ou un chauffeur. De plus, ne considère pas qu’il est normal d’être injuste avec ceux que tu considères comme étant inférieur à toi, même si ce sont des transgresseurs. En effet, le Prophète ﷺ fit redouter à Mo’adh au plus haut point d’être injuste, même dans ses interactions avec les mécréants des Gens du Livre dont certains allaient peut-être devenir croyants, mais d’autres pas.
10- Un poète a dit :
Ne sois pas injuste lorsque tu en as le pouvoir, car l’injustice finit par t’apporter des regrets. Tes yeux succombent au sommeil et l’opprimé reste éveillé, invoquant Allah, Celui dont l’œil ne succombe pas au sommeil.
références
- Voir Fath al-Bârî Sahih Al-Boukhari d’Ibn Hajar (3/358).
- Voir Kachf al-Lithâm Charh ‘Umdat al-Ahkâm d’As-Safârînî (3/400).
- Voir Ikmâl al-Mou’lim bi-Fawâ`id Moslim d’Al-Qâdî ‘Iyâd (1/239)
- Voir Al-‘Ouddah Fî Charh al-‘Oumda d‘Ibn al-‘Attâr (2/798).
- Malik (2/372) et At-Tabarânî dans Al-Mou‘jam al-Kabîr (6395). Ce récit a été déclaré authentique par An-Nawawî dans Al-Majmoû’ (5/427) et sa chaîne de narration a été déclarée bonne par Ibn Kathîr dans Irchâd al-Faqîh (1/248).
- Voir Fath al-Moun’im Charh Moslim de Moussâ Châhîn Lâchîn (1/70).
- At-Tirmidhî (3598) et Ibn Mâjah (1752) d’après Abou Hourayra. Ce hadith a été déclaré authentique par Ibn al- Moulaqqine dans Al-Badr al-Munîr (5/152).
- Voir Fath al-Bârî Sahih Al-Boukhari d’Ibn Hajar (3/358).
- Al-Boukhari (4993).